ARTISTIC LAB

Présentation de l'exposition

Guillaume Logé

L’accélération des modes de vie à l’épreuve de l’art

L’accélération constitue l’un des principaux qualificatifs de l’évolution de nos modes de vie. De plus en plus d’observations, de sondages et d’études nous indiquent que le multitasking, les sollicitations incessantes des TIC et l’accélération des mobilités en général, altèrent notre bien-être et s’avèrent contreproductives, causes de fatigue, de stress et de difficultés de concentration. De nombreux penseurs font de la vitesse un critère d’analyse majeur de la société. Paul Virilio va jusqu’à évoquer une fatalité de la vitesse qui, une fois conquise, ne nous permet plus de ralentir. Conscient de ses implications dans l’économie, la politique ou la guerre, de son rôle constitutif, d’un point vue existentiel et social, de l’engagement de l’homme, corps, esprit et émotion qu’elle induit, il imagine, dès 1991, d’explorer le sujet à travers une exposition pluridisciplinaire présentant des œuvres d’art, objets, documents et études scientifiques (La Vitesse, Fondation Cartier, Paris). Contre l’aliénation que génère ce contexte général d’accélération sociale « totalitaire », le philosophe Hartmut Rosa voit dans l’art (« la poésie ») l’une des solutions (Aliénation et accélération, Vers une théorie critique de la modernité tardive, 2012). L’art est à même de fonctionner comme un antidote à l’« absurde » d’une existence de compétition déshumanisée par la vitesse. Il permet de rétablir la relation brisée entre le moi et le monde. Hartmut Rosa insiste sur la nécessité de lutter contre les impératifs de rentabilité issus des principes de l’économie capitaliste qui envahissent nos existences. Une vie réussie signifie désormais l’accumulation la plus grande d’expériences. Dans les faits, c’est une course désespérée : « Les techniques mêmes qui nous permettent de gagner du temps ont démultiplié le nombre d’options dans le monde : aussi rapides que nous devenions, notre part du monde, c’est-à-dire la proportion d’options réalisées et d’expériences vécues par rapport à celles que nous avons ratées, n’augmente pas, mais chute sans arrêt. »


Une collaboration entre l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs et le Forum Vies Mobiles

Dans cette perspective plurielle (scientifique, philosophique et artistique), le Forum Vies Mobiles a souhaité se pencher sur le rapport au temps tel qu’il se manifeste dans les déplacements quotidiens des usagers d’une gare. Début 2014, des échanges ont été entamés avec le laboratoire de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (Ensad Lab). Le groupe de travail Reflective Interaction, placé sous la direction de l’artiste et chercheur Samuel Bianchini (voir visite guidée), s’intéresse en particulier aux potentiels d’interaction d’objets à comportement avec des problématiques liées à la mobilité. Une commande a ainsi été confiée à deux doctorants du programme Sciences Arts Création Recherche (SACRe), le designer Ianis Lallemand et l’artiste Lyes Hammadouche, qui ont créé un dispositif destiné à agir sur la perception du temps de déplacement.


Des sabliers en interaction avec les voyageurs d’une gare

Ce dispositif interactif appelé Texel (contraction des mots « temps » et « pixel ») a été proposé à l’expérimentation en gare d’Ermont-Eaubonne, une gare multimodale en banlieue parisienne accueillant quotidiennement quelque 35 000 voyageurs. Le dispositif se compose de modules d’une quarantaine de centimètres, tous identiques, constitués d’un sablier en verre maintenu à l’intérieur d’un cadre en aluminium équipé d’un moteur. Plusieurs capteurs industriels de grande précision temporelle et spatiale permettent de détecter les déplacements des voyageurs dans un rayon de 10 mètres. Un ensemble linéaire de 8 sabliers et un dispositif à sablier unique ont ainsi été déployés, du 16 novembre au 16 décembre 2015. Lorsqu’un voyageur s’approche suffisamment près d’un sablier, celui-ci opère un léger mouvement de rotation, pivotant de quelques degrés en avant ou en arrière. Dans les premiers temps de l’approche du voyageur, ces oscillations, plutôt rapides, agissent comme une invitation à se rapprocher davantage. Le sable s’écoule lentement, à l’image de l’intensité encore assez faible de l’interaction du spectateur avec le dispositif. Si le voyageur s’éloigne du module, le sablier retourne à sa position horizontale, stoppant le mouvement du sable. Mais si, intrigué, il s’avance vers l’installation, le sablier poursuit sa rotation, s’inclinant d’autant plus que le spectateur s’approche de lui. À chacune de ces inclinaisons correspond une vitesse d’écoulement du sable, représentant le passage du temps à un rythme plus ou moins rapide.


Une invitation à suspendre le temps : quels résultats ?

En focalisant notre attention, de façon concrète, sur les notions de vitesse et de lenteur, Texel joue comme une invitation à la résistance et à une reprise de contrôle. Il nous amène à une conscience de la dimension subjective du temps. Texel permet d’expérimenter le fait que la lenteur nous fait gagner en qualité de temps et rend possible des expériences subjectives particulièrement riches. Moins je suis rapide, plus je suis attentif, plus je suis présent au monde, plus j’ai du temps pour penser, plus j’ai de capacité créatrice, etc. Cette expérimentation publique a fait l’objet d’une enquête quantitative et qualitative réalisée par trois chercheuses, l’anthropologue Francesca Cozzolino, l’ergonome Anne Bationo-Tillon et l’ethnologue Clara Lamireau-Meyer. Il s’agissait d’aller voir de plus près comment les usagers de la gare interagissaient avec le dispositif et si l’interaction des voyageurs avec Texel leur permettait effectivement de réinstaller un rapport subjectif au temps de déplacement. Les résultats de cette enquête ont donné lieu à une synthèse et à deux visites guidées.


Nous vous invitons à découvrir sur ArtisticLab le processus de création de Texel et son déploiement en gare. Différentes visites guidées vous sont proposées. Samuel Bianchini explicite les enjeux artistiques de l’œuvre, Anne Bationo-Tillon analyse la diversité de l’engagement corporel des voyageurs face au dispositif en action et Francesca Cozzolino, le rapport au temps qui s’établir au cours de ces expériences.

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