Préambule
Nos maisons types ont été construites à partir des caractéristiques communes qui apparaissent dans la manière dont les habitants parlent et se représentent leur maison en rapport avec leurs absences. Dans cette construction, l’idée de ne pas être chez soi est placée au centre de l’analyse comme significative d’une façon d’habiter. Ne pas être chez soi, pouvoir partir, s’absenter, est ici un rapport qui donne du sens à la maison ; cela nous éloigne de l’idée commune de la présence comme la seule manière d’habiter.
Si ces maisons idéales sont le fruit d’un croisement des points de vue, volontairement simplifiés, derrière chacune d’elles se cache un habitant rencontré, dont la relation à la maison et à l’absence forme un archétype : cela permet de donner un exemple. Les lecteurs peuvent aussi se retrouver, à différents degrés, dans les différents idéaux-types de maison présentés.
LA MAISON DE L’AILLEURS,
QUI CHUCHOTE L’ABSENCE POSSIBLE
La maison de l’ailleurs est remplie d’objets travaillant l’imaginaire du lointain. Ils sont posés et exposés à des endroits précis, visibles, et parfois mis en scène pour faire référence à des espaces lointains, à des extérieurs, à un ailleurs reconstitué : grandes photos de paysages, petit musée en vitrine, zone de plantations aux essences exotiques, collection de masques de divers pays au mur, bibliothèque de guides de voyage, etc. Le monde évoqué dans les intérieurs est souvent distant, exotique, mais il est surtout dépaysant, quels que soient les kilomètres qui le séparent de la maison.
« Hier, j’ai remis mon pantalon de voyage et j’ai retrouvé une noix, la coque d’une amande, qui sont des amandes très spécifiques qui viennent d’îles près de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Banda, où nous sommes allés pendant le voyage. Je suis retombée sur cette noix dans ma poche, et sur une bernique vide dans l’autre poche.
Je me suis dit : "C’est ça la vraie vie en fait !" »
La maison de l’ailleurs rappelle que s’absenter de chez soi est toujours possible, voire toujours désirable, tant elle valorise, expose, montre les absences passées. Partir, loin, c’est pouvoir s’enrichir, découvrir et surtout déconnecter d’avec le quotidien, le routinier, l’ordinaire, se ressourcer, se reposer. La maison de l’ailleurs chuchote à l’habitant des envies de départ en plaçant, sous ses yeux, des images, messages, stimuli de voyages passés ou rêvés. La maison de l’ailleurs est bâtie pour rappeler la présence vécue là-bas, l’expérience faite hors de chez lui, l’exotisme de l’extra-local.
LA MAISON MOBILE,
QUI S’EMPORTE OU SE RECRÉE EN CONTINU
La maison mobile est, en complémentarité avec le domicile principal, avec l’adresse postale fixe, le domus stable d’où s’organise la vie quotidienne, celle qui se déplace avec l’habitant. Elle le suit dans ses présences multiples, lui permet d’habiter partout un peu comme chez lui et facilite d’autant plus ses absences de la maison fixe.
« Il y a deux conceptions opposées du camping-car. Soit le campingcar, c’est une voiture dans laquelle tu peux dormir et habiter. Soit, c’est une maison qui peut se déplacer. Pour nous, c’est clairement une maison qu’on déplace. On aime aller l’installer dans un paysage et, à la limite, ne plus en bouger. On en bouge, parce qu’il faut qu’on rentre travailler, mais plus pour longtemps… Mais moi, mon rêve, c’est de vivre tout le temps dans cette maison que je déplace au gré de mes envies sans contraintes. »
La maison mobile, c’est ce qui est emporté, compacté, dédoublé, sélectionné, rangé, dans les bagages, les valises et les sacs, qui se rapporte au chez-soi, qui permet de se sentir partout un peu comme à la maison, qui se déplace avec l’habitant, qui lui donne corps même ailleurs. Son archétype, c’est le camping-car, la maison sur roue, déplaçable mais connectée à la maison fixe par les transvasements qu’elle nécessite (alimentation, eau, habits, livres, CD, jeux, etc.) avant le départ et les habitudes d’habiter qui s’y dédoublent.
LA MAISON AUTONOME,
PROGRAMMÉE POUR FONCTIONNER TOUTE SEULE
La maison autonome peut fonctionner toute seule. Elle est autonome parce que pensée comme telle à travers des possibilités techniques de programmation et de pilotage à distance. Elle reçoit des instructions, y compris à distance. S’ils ne sont pas suivis des effets escomptés, que le fonctionnement programmé s’écarte des attendus, cette maison échappe à son maître et peut le surprendre. Elle est autonome parce qu’elle est en partie automatisée via des objets et dispositifs techniques qui peuvent produire des actions en l’absence des habitants, mais qui
sont prévus et organisés par eux. Elle est autonome parce qu’elle est connectée et qu’elle réagit toute seule, via ses capteurs d’intrusion, d’ensoleillement, de fumée, etc.
« Quand j’arrive au bout de la rue dans ma voiture, je vais dire : "Ok Google. J’arrive à la maison." Il va m’ouvrir les volets, désactiver l’alarme, lire une playlist de musique sur la télévision. Comme ça, quand on rentre, on a un petit fond musical. Si on a dépassé le coucher de soleil, il va m’allumer les lumières et en hiver, il va repasser le chauffage sur 20 degrés. Comme ça, quand j’arrive chez moi, il fait bon »
Mais la maison autonome est aussi une maison qui reste elle-même dans l’imaginaire des habitants absents, qui ne change pas et doit être retrouvée telle quelle au retour. Elle est autonome car elle doit se préserver de la saleté, de la poussière, des intrusions, parce qu’elle est équipée pour. Elle doit préserver les plantes, les animaux, grâce à l’ensemble des dispositifs techniques, matériels et humains mis en place avant chaque départ.
LA MAISON REFUGE
DES ABSENCES INCESSANTES
La maison refuge est, dans le mouvement du quotidien et le rythme intensif des absences liées au travail, le lieu stable, familier, du repos et de la déconnexion avec la vie professionnelle. Cocon, antre, cube, refuge, elle permet le ressourcement des habitants dans une vie d’absences et de déplacements fréquents, souvent irréguliers et peu planifiés. La maison refuge est organisée, équipée, meublée, pour mettre à distance le travail et la fatigue des trajets. Toujours ordonnée, rangée, nettoyée, accessible, confortable, elle est prête à accueillir à tout moment ses habitants et leur évite tout gestes inutiles (faire les courses, ranger, etc.).
C’est une maison qui permet la pleine présence à soi-même et aux autres qui s’y trouvent, qui protège aussi de l’extérieur, où l’on peut couper le smartphone, fermer l’ordinateur, se vautrer sur le canapé, ne rien faire, dès que les activités contraintes sont terminées. La maison refuge c’est la ligne d’horizon de la mobilité professionnelle. Elle est rarement quittée à regret lors des départs, parfois même avec excitation, mais elle est retrouvée à chaque fois avec plaisir et envisagée comme un lieu de répit à atteindre quand on circule dans le train, la voiture, le métro, l’avion. La maison refuge est le lieu de maitrise de ses rythmes propres, de reprise d’un temps à soi.
« Quand je suis à l’étranger, le moment du départ est toujours très douloureux parce que j’ai toute une vie. Donc j’ai rarement du mal à partir d’ici et je ne suis pas spécialement contente de rentrer. Après, j’aime bien quand je rouvre la porte de mon appartement, retrouver mon chez-moi, mais j’aime aussi beaucoup la fermer. »
LA MAISON PIVOT
DANS UN UNIVERS MULTI-SITUÉ
La maison pivot s’inscrit dans un système domestique multi-situé. Elle est le lieu de la présence stabilisée, du retour constant, le centre d’une organisation d’un habitat multisite, polytopique, un espace à partir duquel s’organisent les absences et les présences aux autres lieux. Elle est la maison principale, celle où se déploie la vie quotidienne ordinaire et d’où se projettent les absences moins ordinaires. Elle est un point de référence par rapport à d’autres maisons, lieux de vie, où l’habitant se rend de façon plus ou moins régulière et contrainte, où il a d’autres
obligations professionnelles ou personnelles.
« Je prête cet appartement hyper facilement à des amis, à des gens que je connais moins. J’aime bien savoir qu’il y a du monde, qu’il vit, et que les gens peuvent en profiter. C’est pour rendre service aussi parce que c’est quand même dommage qu’il soit vide, à Paris, ça coûte tellement cher l’immobilier. On a fait du Airbnb deux ou trois fois, mais c’est un peu chiant, il y a tellement d’organisation. Ça ne nous a pas trop plu. »
C’est la maison pivot habitée depuis longtemps et premier choix par rapport aux différentes maisons secondaires héritées ou achetées par la suite ; la maison statique par rapport à la maison sur roue qu’est le camping-car ; la maison référence relativement à des maisons de villégiature, partagées, avec d’autres ; la maison privative, intime, personnelle, des activités familiales, de loisirs, de partage social, face aux logements de fonction, aux hôtels, aux locations temporaires des professionnels mobiles. L’archétype de la maison pivot est la résidence principale relativement à la maison secondaire.
LA MAISON MANIFESTE,
UNE PRÉSENCE ENGAGEANTE
La maison manifeste engage ses habitants à être présents. Elle est plus qu’un lieu de résidence, elle est une forme de revendication, un modèle à défendre dans les formes de l’habiter et, à ce titre, demande une part d’engagement. Les habitants lui consacrent du temps et de l’énergie, au service de l’expérience portée par la maison et de ceux avec qui elle est partagée. La maison manifeste repose sur des dispositifs qu’il faut entretenir, accompagner, actualiser au jour le jour, voire surveiller, défendre, pour en préserver le fonctionnement et la vie intérieure.
La maison manifeste se présente comme une aventure qui se construit et se déroule avec des habitants qui testent et expérimentent des modes de vie collectifs, des pratiques de consommation alternatives, des organisations soutenables entre vie professionnelle et vie domestique, des techniques d’aménagement ou de jardinage, etc. Elle reflète son habitant ui porte un message. Elle est l’intrication formelle et idéale d’un mode de vie et d’un mode d’habiter qui assimilent la présence domestique à une production continue du chez soi.
« La colocation c’est un choix quelque part mais après on a un projet de se regrouper dans un même endroit. Ca pourrait être prendre la forme d’un hameau, d’un mini-village. Et en fait, chacun a sa résidence particulière, mais en partageant un terrain, par exemple, avec des structures qu’on partagerait aussi. L’idée serait de s’ancrer mais en habitant près d’amis et fonctionner un peu en mode communauté ouverte avec différentes activités. Ce truc de communauté, ça permettrait d’avoir un gros potager, des animaux, des trucs, pouvoir essayer de subvenir à nos besoins dans une certaine mesure et puis après, chacun va avoir son activité à côté. »
LA MAISON TRAVAIL,
UNE QUASI-OMNIPRÉSENCE
La maison travail mélange activité professionnelle et activité domestique. Elle les mélange dans l’espace en accueillant un meuble bureau dans le salon, un ordinateur à côté du lit, une pièce bureau dans une dépendance ou un atelier de fabrication dans le garage. Elle brouille les frontières temporelles entre le travail et les activités parallèles, les courses se font entre deux rendez-vous, les mails sont envoyés avant le dîner, le télétravail s’insinue à la nuit tombée. Elle accepte des rythmes de vie qui s’organisent via des outils de communication qui, eux aussi, mélangent les genres.
« Louis travaille ici. Il amène et va chercher les enfants à l’école tous les jours. Mais ça lui arrive de faire quelques déplacements. Dans ce cas, je pose mes jours de télétravail que je n’ai pas pu poser avant, parce que c’est toujours compliqué. Je dis : "bon, tel et tel jours, je n’ai pas eu mes jours de télétravail. Et là, par contre, j’en ai besoin." »
L’habitant oscille entre les régimes de présence, d’attention et de disponibilité à ces deux mondes, cherchant à conserver des frontières sans toujours y parvenir. Pour certains, les deux mondes se confondent, se mélangent, s’intercalent constamment l’un à l’autre, dans une complémentarité parfois, une tension souvent, entre l’être en activité et l’être au repos. La maison travail est exigeante en présence mentale et physique.
Visites guidées.
Des chercheurs en sciences sociales et des artistes sélectionnent une partie des œuvres et les commentent à l’aune de leur connaissance, de leur sensibilité et de leur discipline.
Visite guidée
Benjamin Pradel et Hortense Soichet
Sociologue
Photographe
Durée : 12:02
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